Aicha Ben Rhouma

 

Université de Vincennes – Paris 8 | UP8 · UFR Sciences du Langage (SDL)

Présentation

 

 Résumé de la conférence

Enjeux sociolinguistiques pour une description grammaticale de la LS tunisienne

Auteures : Mhimdi Fadwa, Ben Rhouma Aicha, Fusellier Ivani, Sallandre Marie-Anne

Les recherches linguistiques sur les langues des signes (LS) ont débuté dans les années 1960 aux États-Unis puis dans les années 1980/90 en Europe. Les LS comme l’ASL ou la LSF sont alors devenues des langues de référence pour les LS moins connues et sans reconnaissance officielle, comme l’est par exemple la langue des signes tunisienne (LST).
On commence à s’intéresser à l’étude de la LST à partir de 2008 : le mémoire de Master de Ben Echadli (2008) qui est une étude comparative lexicale et syntaxique entre la LST et la LSF dans le discours narratif ; la thèse de Kayech (2011) qui montre les capacités langagières des Sourds tunisiens à travers le contact des langues et spécifiquement avec la LSF. Nos recherches de Master s’inscrivent dans la continuité de ces premières études : Mhimdi (2018) s’est intéressée à la situation sociolinguistique de la LS en Tunisie en l’absence d’une reconnaissance officielle, et Ben Rhouma (2019) s’est penchée sur l’impact de la gestualité coverbale et de la culture sur le lexique de la LST.
Les questions étudiées dans nos mémoires ont permis de clarifier la spécificité de la minorité linguistique dans la ville de Tunis. Il ressort que la LST se caractérise par une diversité d’usages liée aux milieux (familial, associatif et éducatif, universitaire, etc.). Cette variété rejoint un contexte culturel, historique et linguistique assez compliqué en Tunisie. Ce pays affiche une situation sociolinguistique complexe car plusieurs langues vocales sont utilisées quotidiennement par la population entendante. Dans ce contexte, des rapports diglossiques sont observés par exemple, entre l’arabe et le français, qui sont considérées comme des variétés « hautes » par rapport à l’arabe tunisien.
Mais qu’en est-il de la population sourde ? Dans cette situation de langues en contact, il existe une LS tunisienne qui exploite les potentialités du corps de façon naturelle, même si les Sourds n’en ont pas forcément conscience. Dans nos recherches, les résultats des questionnaires et des entretiens avec les Sourds montrent toutefois que les Sourds interrogés possèdent une conscience épi linguistique de leur langue des signes.
En prenant appui sur l’approche sémiologique, nous reprenons l’hypothèse de Cuxac (2013) selon laquelle les LS s’organisent autour d’un processus initial d’iconicisation de l’expérience et ensuite d’une bifurcation de deux visées sémiologiques : dire en montrant et dire sans montrer, observées dans les activités discursives en LS. Ce processus initial se fonde sur les potentialités de la sémiologie du corps (manifestées également en gestualité coverbale) et permet la restitution par le canal visuo-gestuel d’expériences perceptivo-pratiques réelles ou imaginaires au moyen des structures linguistiques activant de façon simultanée différents paramètres corporels et gestuels.
Dans ce cadre conceptuel, nous avons observé que la LST dispose de tous les paramètres manuels et non manuels identifiés dans les différentes LS du monde (ASL, LSF, LIS, etc.) et
nous nous focalisons sur les paramètres non manuels notamment sur les mouvements labiaux pour clarifier notre analyse de la grammaire de la LST dans un terrain plurilingue. Dans cette présentation, nous adoptons une démarche à la fois qualitative et quantitative. L’analyse proposée se base sur le corpus narratif « l’histoire de cheval » constitué avec huit adultes Sourds tunisiens. Sallandre (2014) ayant proposé une analyse comparative dans plusieurs LS, il est intéressant d’élargir ces comparaisons à la LST. Les résultats visent à fournir un aperçu du rôle des mouvements labiaux dans la LST par exemple des labialisations totales de la langue française comme (ʃəval) ou (ħʂɐŋ) de l’arabe tunisien et partielles comme (ʃə) ou (ʂɐŋ) qui s’inscrivent dans l’usage de la LST en contexte plurilingue. Nous pouvons conclure que les enjeux sociolinguistiques de la LST permettent de mettre en lumière une grammaire du discours, notamment du récit, commune à toute les LS.

Références bibliographiques
• Ben Echadli, B. (2008), une étude comparative lexicale et syntaxique entre LST et LSF dans le discours narratif, Mémoire Master, université de Grenoble.
• Benrhouma, A. (2019). Étude des signes lexicalisés de la LST (LS Tunisienne) avec motivation iconique liés à la culture du pays et à la gestualité des entendants. Mémoire de Master 1. Université Paris 8.
• Cuxac, C. (2013). Langues des signes : une modélisation sémiologique, La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation, 64, 65-80
Fusellier-Souza, I. (2006). “emergence and development of SignedLanguages: fromdiachronic ontogenesis to diachronic phylogenesis. SignLanguageStudies, 7-1, 30-56.
• Khayech, M. (2011). Langue des signes tunisienne (LST) et plurilinguisme modalité de contact et dynamique identitaire, Thèse de doctorat, université de Rouen.
• Mhimdi, F. (2018). Étude préliminaire de la situation sociolinguistique de la langue des signes pratiquées en Tunisie. Tunis comme exemple. Mémoire de Master 1. Université Paris 8.
• Sallandre, M-A. (2014). Compositionnalité des unités sémantiques en langues des signes. Perspective typologique et développementale. Linguistique. Université Paris 8.