Marie-Thérèse L’Huillier

 

Ingénieure d’étude, CNRS (UMR 7023)

Colloque Langue des signes, grammaire et iconicité

Résumé de la conférence

Enjeux didactiques de l’éducation du regard chez l’enfant sourd en France. Comment faire évoluer ses troubles de l’écoute visuelle ?

Depuis les années 1980, quelques écoles en France ont ouvert des classes bilingues (français écrit / LSF) pour les enfants sourds (villes de Poitiers, Toulouse, Paris, Champs sur Marne, etc.). Une loi en 2005 a pleinement reconnu la langue des signes française (LSF) comme langue d’enseignement mais dans les faits, c’est l’intégration individuelle en milieu scolaire ordinaire qui continue à être privilégié (Dalle 2005).
La transmission de la LSF entre pairs sourds, caractéristique de l’époque des écoles spécialisées, n’est plus la règle aujourd’hui.
Dans ce contexte, les enfants sourds peuvent présenter des troubles du langage. Une perturbation particulière concerne la gestion du regard. En effet, ce paramètre remplit des fonctions linguistiques essentielles (gestion de l’interaction, créateur de deixis, élément distinctif pour identifier les signes lexicaux versus les structures très iconiques, etc.). En effet, les enseignantes sourdes, entendantes et l’orthophoniste qui ont à la fois des difficultés de gérer sa classe et d’enseigner la langue, s’en plaignent, les parents aussi. Leur répétition ne sert à rien : « Concentre-toi ! », « Regarde-moi ! », « Ecoute-moi !», « Arrête de détourner tes yeux ! ». Il reste toujours en difficulté.
C’est sur cette question de l’écoute visuelle, ses causes, son évolution et les moyens pédagogiques d’en favoriser la construction qu’a porté notre étude (L’Huillier 2009,2014).
Si on propose un projet didactique de l’enseignement de la LSF adéquat aux difficultés de l’écoute visuelle des enfants, ils auront une chance d’accéder à la construction du regard et à la communication en LSF, avant l’apprentissage de la LSF puis de toutes les disciplines scolaires. En effet, l’enseignant de LSF doit être conscient de cela et veiller particulièrement à une bonne éducation du regard dans son enseignement quotidien de la LSF.
Les informations qui portent sur les troubles du regard chez l’enfant sourd restent encore assez pauvres. Actuellement, peu de pistes dans le domaine pédagogique et psychologique sont validées pour mettre en oeuvre des didactiques adaptées aux besoins particuliers des enfants sourds.
Nous avons réalisé une expérimentation didactique, transversale et longitudinale, en maternelle, auprès d’enfants de 4 à 6 ans, deux issus de parents sourds et trois de parents entendants.
Concernant l’aspect linguistique de cette recherche, nous nous situons dans le cadre du modèle dit « sémiologique » de description de la LSF (Cuxac 2000, Sallandre 2003, 2014, Garcia 2010). Nous nous focalisons sur deux types de structures : les pointages et les structures très iconiques propres aux LS qui permettent de « dire en montrant ». Ce modèle fait l’hypothèse que les locuteurs ont une intention communicative qui se traduit par des visées : la visée illustrative du « dire en montrant » (ou « Donner à voir ») qui joue un rôle indispensable pour l’enfant de facilitateur de la captation du regard, et la visée moins illustrative mais déictique qui donne lieu à la création de pointages qui ont des fonctions variées. La réflexion théorique que nous avons menée concernant le noyau de la grammaire de l’iconicité (en particulier les transferts personnels ou prises de rôle) va de pair avec notre tentative d’application sur le terrain pour la stimulation de l’interaction entre enseignant sourd, vecteur de la culture sourde et des enfants en classe maternelle.
Nos observations confirment cette hypothèse : développement de l’interaction et évidence du plaisir retrouvé chez ces enfants dans la gestion de leur regard. Ainsi, le résultat de cette étude nous conforte dans notre proposition pédagogique d’utiliser les prises de rôle et le pointage dans le programme de l’enseignement de la LSF. La conclusion ouvre des perspectives didactiques de l’enseignement de la LSF et des pistes fécondes en termes d’ergonomie cognitive pour l’enfant sourd apprenant de sa langue.

Références bibliographiques

  • Cuxac, C., (2000). La langue des signes française (LSF), les voies de l’iconicité, Faits de langues n°15-16, Ophrys, Paris
  • Fusellier-Souza I., (2001). La création gestuelle des individus sourds isolés. « in Les langues des signes : une perspective sémiogénétique » dans Acquisition et Interaction en Langue Etrangère (AILE) publié par l’Association ENCRAGES n°15
  • Sallandre M-A, (2003), Les unités de discours en Langue des Signes Française, tentative de catégorisation dans le cadre d’une grammaire de l’iconicité, Paris, Thèse de doctorat
  • Weiss F., 2002. Jouer, communiquer, apprendre. Editions Hachette
  • Zarate G., (1986), Enseigner une culture étrangère, Hachette, Paris, 1986

 

Colloque Ecriture(s) de la langue des signes : synthèse

Publications

Articles de revues à comité de lecture 

1. Garcia, B., Sallandre, M.-A. & L’Huillier, M.-T. (2018). Impersonal human reference in French Sign Language (LSF), Sign Language & Linguistics, edited by Gemma Barbera & Patricia Cabredo Hofherr. https://shs.hal.science/halshs-01709663

2. Garcia, B., Sallandre, M.-A., L’Huillier, M.-T. & Aksen, H. (2018). Expression de la référence impersonnelle humaine en langue des signes française (LSF). Travaux interdisciplinaires sur la parole et le langage (TIPA) n°34, mai-juin 2018, 20 p. https://hal.science/halshs-01709671v1

3. L’Huillier, M.-T. (2014), « Les représentations des sourds vis-à-vis des interprètes hier et aujourd’hui », Revue DOUBLE SENS n°2, Revue de l’association française des interprètes et traducteurs en langue des signes, éditions AFILS, 61-72. https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01727083

4. Garcia, B., L’Huillier, M.-T. & Sallandre, M.-A. (2013). CREAGEST : enjeux linguistiques, patrimoniaux et socio-éducatifs d’un grand corpus de langue des signes française, La nouvelle revue de l’adaptation et de la scolarisation n° 64, INS HEA, 81-91. https://www.researchgate.net/publication/278621950_Creagest_enjeux_linguistiques_patrimoniaux_et_socio-educatifs_d’un_grand_corpus_de_langue_des_signes_francaise

5. Sallandre, M.-A., Courtin, C., Fusellier Souza, I., et L’Huillier, M-T. (2010). L’expression des déplacements chez l’enfant sourd en langue des signes française », LIA1.1 (Langage Interaction Acquisition), Amsterdam : John Benjamins, 41-66. https://www.jbe-platform.com/content/journals/10.1075/lia.1.1.04sal

6. L’Huillier, M-T. (1993), « Rôle du professeur sourd dans la pratique bilingue et biculturelle », in La parole des sourds, Psychanalyse et surdité, Revue du Collège de psychanalyse, n° 46-47, Paris, 210-217.

7. CUXAC C., et ABBOU-L’Huillier M.-T., (1985), « LSF et pantomime : tentative de démarcation linguistique », Journées d’Études n° 10, « Autour de la langue des signes », UFR de Linguistique générale et appliquée, Université René Descartes (Paris V), 27-33.

8. CUXAC C. & ABBOU-L’Huillier M-T., (1984), « French Sign Language & pantomime », in F. Loncke et al., (eds.), Recent research on European sign language, Swets & Zeitlinger, Lisse, The Netherlands, 141-148.

Suite :  C.V. : https://www.sfl.cnrs.fr/sites/default/files/2018.05_cv_lhuillier.pdf