Antiquité

L’histoire des sourds fait l’objet de nombreuses recherches scientifiques.
En France, des chercheurs se consacrent à cette question, comme Yann Cantin, maître de conférences à l’Université Paris 8 : https://www.sfl.cnrs.fr/les-membres/yann-cantin

Au niveau international, ces chercheurs partagent leurs travaux au sein d’instances comme DHI : Deaf History International : https://www.deafhistoryinternational.com/

 

Les sourds existent depuis l’aube de l’humanité. La langue des signes existe depuis que les sourds ont pu se rencontrer et former de petites communautés linguistiques – dès les premières civilisations.

Ainsi, des témoignages en parlent dès l’Egypte antique. Contrairement à une idée reçue, les handicapés n’étaient pas du tout rejetés. Voir par exemple la thèse de Bénédicte Lhoyer : Les Altérations corporelles dans l’image à l’Ancien Empire (https://www.theses.fr/2018MON30058).

Chez les Hittites par exemple, au deuxième millénaire avant J.-C., les sourds avaient une place reconnue et valorisée :

« Des tâches étaient imparties aux sourds, telles que celle de sécuriser le soir la fermeture des issues du palais, mais aussi de les déverrouiller à l’aube et d’introduire alors le praticien du rituel auprès du roi et de la reine. Un texte fragmentaire montre même un sourd parmi les gardes d’élite qui portaient la lance d’or. Certains textes mentionnent spécifiquement le travail du portage de l’eau, avec une équipe extérieure au palais et une équipe intérieure qui la relayait au-delà d’un point de contrôle. Des sourds sont signalés comme fabriquant du pain pour des cérémonies religieuses, ce qui est remarquable compte tenu de la qualité requise pour cette sorte de nourriture, en comparaison de celle en usage dans le reste de la cité. Dans quelques textes, les sourds semblent prendre une part plus directe aux cérémonies religieuses : ‘L’homme sourd tend la coupe au roi (…) l’homme sourd en chef offre une libation (…) puis accomplit le rite sanctificateur sur le roi.’ » (Miles, M., 2008, « Sourds Hittites au 13ème siècle av. J.-C. »)

Selon Hérodote (L’Enquête, La Pléiade, Gallimard, 1964), le fils de Crésus était sourd, et vivait avec son père au Palais.

Platon écrit : « Si nous n’avions point de voix ni de langue et que nous voulussions nous montrer les choses les uns aux autres, n’essaierions-nous pas, comme le font en effet les muets, de les indiquer avec les mains, la tête et le reste du corps ? » (Platon, Cratyle, 422d, Trad. E. Chambry, Paris, GF-Flammarion, 1967, « GF, 146 », p. 447).

Au contraire, Aristote a un point de vue négatif sur la surdité. « Les animaux, qui, tout en étant intelligents, ne peuvent rien apprendre, sont en général ceux à qui la nature a refusé un organe pour percevoir les sons, comme l’abeille et les autres espèces, s’il y en a qui soient à cet égard dénuées comme elle. Au contraire, ceux des animaux qui, à la mémoire, peuvent ajouter le sens de l’ouïe sont en état de s’instruire. » (Aristote, Métaphysique, Livre A, chap. I, 980, trad. J. Barthélemy-Saint-Hilaire, Paris, Pocket, 1995, p. 39).

Dans l’Ancien Testament, il est question à plusieurs reprises des sourds.

Tu ne maudiras pas un muet et tu ne mettras pas d’obstacle devant un aveugle, mais tu craindras ton Dieu. Je suis Yahvé. (Lévitique 19,14)

Et moi, comme un sourd, je n’entends pas, comme un muet qui n’ouvre pas la bouche, comme un homme qui n’a rien entendu et n’a pas de réplique à la bouche. (Psaume 38, 13-14)

« Ouvre la bouche en faveur du muet, pour la cause de tous les abandonnés ; ouvre la bouche, juge avec justice, défends la cause du pauvre et du malheureux » (Pr 31,8-9).

Ainsi que dans le Nouveau Testament :

S’en retournant du territoire de Tyr, il (Jésus) vint par Sidon vers la mer de Galilée, à travers le territoire de la Décapole. Et on lui amène un sourd, qui de plus parlait difficilement, et on le prie de lui imposer les mains. 
Le prenant hors de la foule, à part, il lui mit ses doigts dans les oreilles et avec sa salive lui toucha la langue. Puis, levant les yeux au ciel, il poussa un gémissement et lui dit : « Ephphatha », c’est-à-dire : « Ouvre-toi ! » Et ses oreilles s’ouvrirent et aussitôt le lien de sa langue se dénoua et il parlait correctement. Et Jésus leur recommanda de ne dire la chose à personne ; mais plus il le leur recommandait, de plus belle ils la proclamaient. Ils étaient frappés au-delà de toute mesure et disaient : « Il a bien fait toutes choses : il fait entendre les sourds et parler les muets. » (Marc 7, 31-37)

Zacharie, dans l’évangile de Luc, n’a pas cru aux paroles de l’ange venu lui annoncer la naissance de Jean le Baptiste. Aussi, comme punition, devint-il sourd et muet : « Il leur faisait des signes et demeurait muet » (Luc 1,22) « Et ils faisaient des signes au père pour savoir comment il voulait qu’on l’appelle » (Luc 1,62)

Le droit romain veille à protéger les plus faibles, notamment les sourds, des risques de spoliation. Ainsi, les sourds qui ne savent pas lire ou écrire sont placés sous curatelle. « Pareillement, le muet et le sourd ne peuvent pas toujours faire un testament. Mais nous parlons surtout de cette catégorie de sourds qui n’entendent pas du tout, non de ceux qui entendent difficilement : en effet, on entend aussi par “muet” celui qui ne peut rien dire, non celui qui parle difficilement. Car souvent il arrive aussi que des hommes lettrés et instruits perdent du fait de circonstances variées la faculté d’entendre et de parler. C’est pourquoi notre constitution leur vient en aide afin que dans des cas délimités avec précision et conformément à sa réglementation, ils puissent faire un testament ainsi que d’autres choses qui leur sont permises. De plus si quelqu’un, une fois son testament fait, devient sourd et muet du fait de la maladie ou pour quelque autre raison, son testament n’en demeure pas moins valide.

Peuvent aussi être utilisés comme témoins ceux qui ont la capacité de tester. Mais ni les femmes, ni les enfants, ni les esclaves, ni les muets, ni les sourds, ni les fous, ni celui qui a été placé sous tutelle, ni celui que la loi a décrété malhonnête et inapte à témoigner ne peuvent être admis au nombre des témoins.

Il est évident qu’un muet ne peut ni s’engager par contrat ni se porter garant. Ceci vaut aussi pour un sourd : en effet celui qui passe un contrat doit entendre les paroles du garant de même que le garant doit entendre les paroles du contractant. D’où il apparaît que nous ne parlons pas de celui qui a des difficultés à entendre, mais bien de celui qui n’entend absolument rien.

Mais on doit donner des curateurs aux fous, aux sourds et aux muets et à ceux qui sont atteints de maladie chronique parce qu’ils ne peuvent pas s’occuper de leurs affaires. » (Code Justinien)

Quintus Pedius était le fils d’un sénateur romain. Il fut le premier peintre sourd connu et son éducation est la première formation enregistrée d’un enfant sourd. Tout ce que l’on sait de lui est contenu dans un passage de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien. https://fr.wikipedia.org/wiki/Quintus_Pedius_(peintre)

Cicéron écrit : « Et quel mal y a-t-il à être sourd ? M. Crassus était dur d’oreille ; mais il y avait une chose plus pénible, c’est le mal qu’il entendait dire de lui, d’ailleurs injustement à mon avis. Les épicuriens de chez nous ne savent pas le grec, ni les épicuriens grecs, le latin : ils sont donc sourds aux paroles les uns des autres, et nous sommes absolument sourds aux innombrables langues que nous ne comprenons pas. Ils n’entendent pas, dit-on, le son de la cithare ? Et pas davantage le grincement de la scie quand on l’aiguise, le grognement du porc quand on l’étrangle, ou le bruit des vagues de la mer quand ils veulent prendre du repos. Et si peut-être la musique leur fait plaisir, ils doivent songer d’abord que bien des sages ont vécu heureux avant qu’elle ne fût inventée, et puis qu’on peut éprouver un plaisir bien plus grand à lire des œuvres qu’à les écouter lire. Alors comme, il y a un instant, nous renvoyions les aveugles aux plaisirs de l’ouïe, nous pouvons renvoyer les sourds à ceux de la vue. En effet celui qui peut se parler à lui-même n’aura pas besoin de converser avec un autre. » (Cicéron, Les Tusculanes, V, 116-117 ; trad. d’E. Bréhier, in Les Stoïciens, Paris, Gallimard, Tel 281, 1997, p. 402-403.)

Saint Jean Chrysostome et Saint Jérôme (IVe-Ve siècle) affirment que les sourds sont dotés de raison et qu’on peut communiquer avec eux par signes gestuels. Jérôme prétend même qu’on peut leur enseigner les Evangiles par signes. (Saint Jérôme, Commentaire de l’épitre aux Galates, L. 1, ch. 3, Patrologie Latine de Migne, t. 138, col. 349).

Saint Augustin (IVe-Ve siècle), dans sa correspondance avec Jérôme, parle d’une famille sourde très respectée de la bourgeoisie milanaise. Il affirme que leurs gestes forment les mots d’une langue. « Par le mouvement des mains, certains hommes expriment la plupart de leurs sentiments. » (Augustin, De doctrina christiana, II, III, 4, Paris, Bibliothèque augustinienne, 1949, Œuvres de saint Augustin, 11, p. 241).

« N’as-tu jamais vu des hommes converser par gestes avec des sourds, et les mêmes sourds, également par gestes, questionner ou répondre, enseigner ou montrer soit tout, soit presque tout ce qu’ils veulent ? » (De magistro, chap. 3)